Éric de Rosny: Le jésuite qui a ouvert les yeux de l’Occident sur l’Afrique
Dans un contexte néocolonial où le rôle funeste de l’Église est de plus en plus pointé du doigt comme
fossoyeur des traditions africaines, une prêtre Blanc accomplit un mariage réputé improbable : unir
dans une alchimie harmonieuse les mystères du christianisme et les secrets initiatiques de l’Afrique
profonde. Éric de Rosny, c’est son nom.
Jésuite français décédé en 2012, il a passé plus de 50 ans au Cameroun, où il a mené un travail d’anthropologue et de missionnaire qui a profondément marqué la compréhension de l’Afrique par l’Occident. Son histoire devrait peut-être pousser plus d’un africain à se remettre en question quant à la perception qu’ils ont de leur culture.

Né en 1930, de Rosny est entré dans la Compagnie de Jésus en 1950. Il est envoyé au Cameroun en 1957 au collège Libermann de Douala. C’est là où, aux contacts de ses élèves, il va s’intéresser à l’étude des cultures et des religions traditionnelles locales. Il est ordonné prêtre en 1962, ce qui lui donne plus de liberté de la part de sa hiérarchie pour approfondir ses recherches.
C’est ainsi qu’il fait connaissance avec les Nganga, les « maîtres de la nuit », et ceux-ci l’inscrivent à leur école. Commence alors une initiation qui s’achèvera en 1975, avec « l’ouverture de ses yeux ». Il est rapidement adopté et reçoit le nom de Dibounjé d’un chef traditionnel. Il fera rayonner la lumière reçue la nuit en plein jour. Avec prudence, mais surtout beaucoup de sagesse et de discernement, il fera rayonner le fruit de son expérience dans tous les milieux où il se trouve.

Éric de Rosny :Œuvres et actions
Au sein de l’Église catholique, il contribuera à faire connaître et respecter les cultures traditionnelles africaines souvent diabolisées par d’autres prélats par ignorance ou malveillance.
Dans la communauté occidentale, par ses ouvrages et ses conférences, il a fait toucher du doigt de façon intelligente, respectueuse et humaine la richesse et la valeur des cultures africaines ;
Auprès de l’intelligentsia et de la communauté scientifique par ses publications, ses analyses méthodiques et aussi objectives que possibles il balisera le terrain pour de nombreux autres chercheurs.
Auprès des chrétiens africains à qui il n’a cessé d’enseigner qu’il fallait faire la différence entre les sorciers (malveillants) et ceux qui les combattent, les Nganga (guérisseurs).
Chez les Nganga ou guérisseurs traditionnels, il sera l’un des grands artisans de la constitution d’une encyclopédie bibliographique des plantes médicinales locales et de leurs usages. Les ouvrages qui ont résulté de cette grande œuvre n’ont pas fait l’objet de publication officielle, mais circulent sous les manteaux dans les milieux des « connaisseurs » au Cameroun. Et ceux qui en possèdent un exemplaire sont considérés comme des privilégiés.

Son ouvrage, Les yeux de ma chèvre, publié en 1981, est un récit de ses expériences avec les Nganga et de son initiation. Ses écrits, lui ont valus de remporter le prix LouisCastex. Ses œuvres ont également connus un grand succès en France tout en contribuant à faire connaître la pensée africaine au grand public.
Le prix Louis-Castex est un prix de l'Académie française annuel créé en 1969 et « destiné à l’auteur d’une œuvre littéraire qui permettra de mettre en lumière, outre la grande aventure de l’aviation, soit des souvenirs de voyages ou d’explorations d’une importance certaine et d’où serait absolument exclue toute affabulation romanesque, soit des découvertes dues à l’archéologie et à l’ethnologie »
Dans ses travaux, de Rosny a défendu une approche interculturelle du dialogue entre l’Afrique et l’Occident. Il a souligné la richesse et la diversité des cultures africaines, et a appelé à un respect mutuel entre les différentes traditions.
Dans la préface faite pour sa dernière publication « le pays Sawa, ma passion », le prince René Douala Manga-Bell lui dit : « Éric de Rosny, Dieu vous a choisi parmi ses ministres, je vous ai adoubé par le cœur ! Merci de cette vie consacrée à l’autre, et à notre peuple sans prosélytisme. »
Comment s’étonner dès lors qu’il soit admis au sein de Beyum Ba Bato, la confrérie très fermée des 27 vieillards, dont les membres sont garants des rites et de la tradition du peuple Sawa.
Là où les racines de la tradition restent vivantes, le grand arbre Afrique, si dangereusement secoué par des vents contraires, peut plier, mais ne pas rompre ; ou bien être embrasé et ne pas brûler : Buma a titi Wea. « Le baobab ne brûle pas».
Éric de Rosny, Le Pays Sawa ma passion, 2011 Presse de l’UCAC, P67.
Toute sa vie durant, Éric de Rosny aura été un ouvrier actif, un homme des mystères qu’il a abondamment contribué à rendre accessible à ses semblables. Cela lui vaut d’être présenté dans le cadre de cette rubrique consacrée aux acteurs importants des réalités cachées de la Terre (traduction littérale du terme ndimsi).
L’auteur de ces lignes le rencontre pour la dernière fois en Décembre 2011 au Centre Culturel Français de Douala, où il lui dédicace son ouvrage. Il est alors plein de vie et de vivacité. Il décède quelques mois à peine plus tard, peu de temps après avoir subi une grosse opération.
« Le système de la sorcellerie, fondé sur un équilibre des forces de l’ordre (nganga) et celles du désordres (sorciers) a dû permettre autrefois aux villageois de coexister. Mais dans la société moderne, les structures tant traditionnelles qu’étatiques pour jouer le même rôle semble souvent inopérantes. Comment remplacer le système de la sorcellerie ? »
Éric de Rosny, Le Pays Sawa ma passion, 2011
Presse de l’UCAC, P212

Son départ semble dès lors subit, et presque prématuré. Il a fait le choix de figurer dans le panthéon de nos ancêtres autant que dans celui de l’Église.
Alors qu’il me soit permis de dire :
« Hommage à toi Tétè Didounjé, que ton Kâ soit vivifié ! Puisse ton exemple inspirer et montrer la voie de l’équilibre et l’épanouissement spirituel dans la compréhension des mystères des Traditions africaines aux générations futures. »
Par Paul Gabriel FOLEU